Un détour qui en vaut la peine
“J’ai une idée, je voudrais la tester avec vous, vous seriez partants ?“
Ils étaient partants.
Mes premiers clients sont issus de mon cercle proche. C’est normal, les business commencent souvent avec family & friends. On peut penser que les proches seront complaisants sur une proposition, mais dans mon cas, il n’a pas été question de s’épargner, ni de s’écharper non plus. Une phase de bêta test constructive, et enthousiaste.
Chez Narra on propose aux dirigeants qui s'interrogent sur leur stratégie IA (et la pression est forte) d’y penser de manière créative, ambitieuse et fun. Comment ? En délégant à l’IA la rédaction de fictions narratives dans lesquelles des personas clés de l’entreprise en question sont représentées, transformées, dans un future proche, par une nouvelle réalité technologique. Il faut a minima un persona externe (client, partenaire, prospect) et un persona interne (collaborateur, métier). L’intelligence artificielle peut avoir autant d’impact sur les processus internes (la fameuse productivité) que sur l’invention de nouvelles expériences client (la fameuse révolution). Ajoutez à ça une compréhension fine du contexte de l’entreprise acquise à travers des signaux explicites et implicites (issus d’interviews avec les dirigeants et différentes parties-prenantes). Contexte et instructions sont envoyés dans un modèle de langage avec des exigences sur le style, le ton, les impératifs comme celui de ne pas pencher vers la science fiction qui est trop souvent associée à cette technologie (mais c’est personnel). Du design fiction propulsé à l’IA en somme, rien de bien révolutionnaire me direz-vous et à la portée de tous car la production d’un énième opus de AI slop n’a rien de bien intéressant en soi.
Lors de ma première expérience de design fiction IA avec Narra, la première fiction a été générée trop vite. Trop peu de contexte, une compréhension pas assez fine des enjeux implicites du client et donc une fiction amusante, riche, mais partiellement adaptée. Au cours de conversations, on a affiné le “prompt” et au gré des versions on s’est rapprochés d’un futur désirable. Cette distance initiale entre l’instruction et sa réalisation est vraiment intéressante parce qu’elle sous tend tout le potentiel créatif à venir, processus essentiel qui permet d’expliciter et de formaliser les vrais enjeux qui émergeront par l’itération et le dialogue. Dialogue qui permet de réaliser que, in fine, la question est largement plus importante que la réponse. Plutôt que la très désormais célèbre maxime, garbage in, garbage out, on pourrait dire : dream in, dream out. En somme, il faut créer à travers la fiction narrative une réaction initiale, de rejet ou d’adhésion, voire d’interrogation, pour avancer. Après quelques itérations, la fiction s’est approchée d’un futur que les dirigeants souhaitaient. En tous cas, suffisamment pour qu’ils évoquent les perspectives que l’exercice leur ouvrait : optimisme retrouvé, idées nouvelles, motivation décuplée. Les mots de la fiction narrative disent “regarde c’est possible”, quand l’esprit dit “tu n’y arriveras jamais”.
Bien sûr après ça il faut passer à la “réal”, faire sortir le scénariste (bonnet, piercing, tatouages) et entrer le consultant (bottines, pull à col roulé) qui le regarde jalousement. Mais qu’importe, l’idée a commencé à germer. Energie initiale, originelle qui est en général absente d’une approche incrémentale, bottom-up, qui viserait à confier à une technologie aussi révolutionnaire de maigres gains de productivité en accélérant ci ou ça. “C’EST QUOI LES CAS D’USAGES ????” entend-on crier depuis les couloirs de la Défense jusque dans le centre de Paris. Le détour par l’imagination est vertueux, productif et amusant.
Du point de vue de l’animateur, l’impression d’être un co-narrateur, ou un méta-narrateur est forte. Je ne narre pas, je demande à un tiers de narrer à partir d’une base imparfaite, incomplète. Mais j’ai quand même mon mot à dire. J’ai des exigences. Même si les modèles sont probabilistes et qu’ils agencent des mots en fonction de leur probabilité d’être alignés les uns après les autres, ils révèlent des angles-morts, des surprises, des perspectives inattendues. Ou alors elles sont attendues mais mises en scène d’une telle manière qu’elles provoquent une réaction qui engendre le processus créatif décrit ci-dessus. La surprise est d’ailleurs présentée textuellement mais pas visuellement. On a réfléchi à l’idée d’un film, AI generated of course, pour faire office de fiction prospective en complément des nouvelles écrites. Et on s’est dit que les images couperaient l’imagination plus qu’elles ne la feraient croître. L’image enferme alors que le mot libère. Entre un mot et son interprétation, tout un univers de possibles.
Tout ça n’est qu’un point d’entrée dans un labyrinthe complexe. Mais un point d’entrée qui a la vertu de la mise en scène des utilisateurs finaux, et de leurs enjeux primordiaux, indépendamment de telle ou telle technologie. “Focus on the user and all else will follow” disait mon N+1000 chez Google.
Qui veut tester ?